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D'où ça vient ?

Comme nous l’avons déjà précisé plusieurs fois, les MICI ne se transmettent pas, mais toutes personnes ayant une prédisposition à en développer une, est à risque. On pourrait alors se dire que l'on n'a qu’à regrouper les personnes à risque, observer leurs gènes et trouver ceux qui sont responsables du développement de la maladie. Eh bien ! Ce n’est pas si simple. Actuellement, les chercheurs scientifiques ont identifié une mosaïque de gènes - plus de 200 - qui pourraient jouer un rôle dans l’apparition d’une MICI. De plus, pris individuellement, ils n’augmentent que très faiblement le risque d’avoir la maladie de Crohn ou une RCH.

 


Comme le rappelle Anthony Buisson, « les connaissances que l’on a nous permettent de penser que les MICI surviennent chez les gens qui sont potentiellement prédisposés génétiquement. C’est-à-dire les personnes qui ont hérité, ou non, de certains gènes qui peuvent favoriser l’arrivée de la maladie. Mais ce n'est pas indispensable pour la développer ». Le gastro-entérologue se rappelle même avoir déjà eu en consultation des jumeaux : l’un avait une MICI et l’autre non. « Ce qui montre bien que ce n’est pas lié qu’au patrimoine génétique. » Donc, pour résumer, la génétique peut jouer un rôle mais ce n’est pas obligatoire, et on peut développer une MICI sans qu'aucun parent proche en ait une. La loterie, donc.

 

« On est face à des maladies qui touchent le tube digestif donc on a quand-même du mal à croire que l’alimentation ne joue pas un rôle », avance Anthony Buisson. D’autant plus, qu'étant majoritairement présentes dans les pays occidentaux, on présume que les MICI peuvent survenir à la suite d’une alimentation riche en graisse, en sucre, avec des aliments transformés et des additifs alimentaires. C’est pour cela que Laurent Peyrin-Biroulet privilégie cette piste. « Si j’avais à parier, je pense quand-même qu’il y a un fort impact de la nutrition. Pourquoi ? Parce que quand on passe d’un pays pauvre à un pays riche, la fréquence des MICI augmente. La génétique ne change pas dans l’avion, par contre, ce qu’on a dans l’assiette, ça change », souligne-t-il. L’expert nancéien explique qu’il y a trois aspects de l’alimentation occidentale qui peuvent jouer : les aliments transformés, « ce que vous mangez, vous devez le retrouver dans la nature », le trop de sucre et le manque de fibres. « Les “cinq fruits et légumes par jour”, ça m’a beaucoup fait rire au début mais en fait c’est totalement vrai. Actuellement, on mange en moyenne autour de 10 g de fibres par jour, il faudrait au moins 20 g. Donc il faut augmenter la charge en fruits et légumes. »

 

Le terme microbiote - appelé flore intestinale auparavant - est utilisé pour désigner l’ensemble des microorganismes présents au sein de l’intestin. Il en existe trois principaux, « les bactéries, les champignons et les virus », annonce Laurent Peyrin-Biroulet. Ces derniers sont essentiels pour l’intestin, notamment en permettant la fermentation des nutriments, en empêchant sa colonisation par des microbes pathogènes ou encore en permettant le développement du système immunitaire intestinal. 

 

 

Il est actuellement établi que le microbiote joue un rôle clé. « La plupart des travaux se basent sur le microbiote intestinal, confirme Anthony Buisson. Cela fait partie des pistes de réflexion les plus abouties. » En effet, chez les personnes atteintes d’une maladie de Crohn ou d’une RCH, on remarque une forte concentration de bactéries potentiellement pathogènes pour un nombre diminué de bactéries bénéfiques. De plus, les localisations les plus fréquentes des MICI coïncident avec les zones où se trouvent la plus haute densité de bactéries dans le tube digestif, soit dans la dernière partie de l’intestin grêle et le côlon.

 

 

Mais une question se pose alors : est-ce que c’est la MICI qui dérègle le microbiote ou est-ce que c’est le microbiote en manque de bonnes bactéries qui cause une MICI ? C’est l’histoire de l'œuf et la poule. On peut aujourd'hui affirmer que le microbiote joue un rôle mais on ne peut pas confirmer qu’il initie la maladie. En revanche, le microbiote abimé d’un patient atteint de MICI affecte l’entretien et probablement la gravité de l’inflammation.

 

Vous l’aurez compris, il n’existe sûrement pas une véritable origine des MICI, mais un mélange de différents facteurs qui les provoque. « Dans les recherches actuelles, on essaye de combiner la génétique, la nutrition, le microbiote et les facteurs environnementaux, pour voir un peu ce qu’il se passe », confirme Laurent Peyrin-Biroulet. Pour le moment, elles ne sont pas concluantes et il faudra encore attendre quelques années ou décennies avant de comprendre d'où viennent les MICI. Anthony Buisson souligne : « Si on est réaliste, pour moi, il n’y a pas la perspective d’une progression majeure sur la compréhension à court ou moyen terme. Ça me paraît assez illusoire. En revanche, on a de plus en plus de nouveaux traitements qui contrôlent durablement les maladies » et offrent une qualité de vie satisfaisante aux patients en dehors des poussées.

 

Autour des trois pistes évoquées précédemment, il existe des facteurs environnementaux favorisant l’apparition des MICI, sans en être la cause. Le principal identifié pour la maladie de Crohn est le tabac. Anthony Buisson explique que « dans ce contexte-là, il se passe une interaction anormale entre le microbiote intestinal et le système immunitaire, qui créé une inflammation chronique qui abîme le tube digestif ». Le tabac multiplie par 2 le risque de développer la maladie de Crohn. Mais dans le cas de la RCH, il a une fonction protectrice que l’on n’explique pas, avec 2,5 fois moins de risque de développer la maladie et en minorant l’étendue et la gravité des lésions.

 

 

L’appendicectomie, soit le fait de se faire retirer l’appendice, protège également de la RCH alors qu’elle semble augmenter le risque de maladie de Crohn. Cependant, il est impossible de retirer l’appendice de tous les patients atteints de RCH pour les guérir de leur maladie. En effet, selon une étude réalisée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en 2016, « une appendicectomie réalisée en l’absence d’appendicite, augmenterait d’environ 17 fois le risque de cancer du côlon chez les patients atteints de rectocolite hémorragique ».

 

 

Le rôle de l’environnement dans la survenue des MICI, en particulier celui de la pollution, est soutenu par l’augmentation rapide de l’incidence de ces maladies dans les pays en voie d’industrialisation. Le « trop d’hygiène » dans les pays occidentaux semble aussi être un facteur de risque. Le fait de vivre dans un environnement de plus en plus propre avec une diminution de l’exposition aux pathogènes intestinaux, ne stimulerait pas suffisamment notre système immunitaire.

 

De nombreux sites Internet et ouvrages affirment de manière péremptoire que la solution qu’ils proposent leur permettra de mettre leur MICI en veille. Jus de légumes anti-inflammatoires, probiotiques magiques anti-MICI, cures de détox, mais aussi les régimes chasseurs-cueilleurs et paléolithiques, basés sur le concept suivant : les MICI et d'autres maladies n'existaient pas avant, mangeons donc comme avant pour ne pas être malades ! C'est oublier que des centaines d'études scientifiques n'ont pas permis de montrer de bénéfice clair d'un régime d'exclusion, quel qu'il soit, sur les poussées des MICI.

 

 

S’il est impossible d'estimer l’impact de l’alimentation dans le développement des MICI, c’est parce que les études visant à évaluer cet impact sont complexes dû au fait « que l’on ne peut pas contrôler ce que mangent les patients, souligne le gastro-entérologue. Si l'on dit à un patient de ne pas manger gras, rien ne nous dit que quand on n’est pas là, il mange un Kit Kat ou de la charcuterie sans le déclarer. »


 

Cependant, « à l’heure actuelle, on a assez peu de preuves que l’alimentation joue un rôle », contrebalance Anthony Buisson. Il existe des travaux sur des aliments qui peuvent être plus ou moins inflammatoires mais les malades n’ont pas de régime spécifique à appliquer, sauf en cas de poussée où le régime sans fibre est recommandé. « L’important surtout c’est de manger et de manger le plus équilibré possible, pour ne pas perdre de poids et ne pas subir de dénutrition due à une alimentation qui serait trop restrictive », insiste-t-il. Le plus souvent, il est injustifié de s’imposer des restrictions alimentaires qui peuvent conduire à un déséquilibre nutritionnel et une perte « de la joie de vivre ».

 

Dix millions de personnes sont malades d'une MICI dans le monde. En Europe, on estime qu'elles sont 3 millions (chiffre de l'Afa Crohn RCH France), aux États-Unis environ 3.1 millions (Centers for disease control and prevention), 300 000 au Canada (Association Crohn et colite Canada) et 100 000 en Australie (Crohn's and colitis Australia). La majorité des autres patients atteints d'une maladie de Crohn ou d'une RCH se trouvent dans les pays en voie de développement, comme en Inde, où l'on recense 1.4 millions de cas (National Library of Medecine).

 

Selon une étude réalisée par l'Académie nationale de médecine en 2007, les variations d'incidences dans des groupes ethniques ayant migré dans des zones géographiques différentes de leur région d'origine, sont particulièrement parlantes. Ainsi, les asiatiques du sud ayant migré au Royaume-Uni ont vu leurs chiffres d'incidence de MICI, initialement bas, rejoindre rapidement celui du pays d'accueil. Cela illustre l'importance du mode de vie dans la survenue de ces maladies. Mais comment l'expliquer ? Quelles sont les potentielles origines des MICI ? Où en sont les recherches ?

Génétique

Microbiote

Alimentation

Zoom sur l'environnement favorisant les MICI

Les MICI sont plus répandues dans les pays occidentaux

Pr. Laurent Peyrin-Biroulet

Gastroentérologue spécialiste des MICI

CHRU Nancy

Pr. Anthony Bussion

Gastroentérologue spécialiste des MICI

CHU Clermont-Ferrand

« Les MICI surviennent chez les sujets

potentiellement prédisposés génétiquement »

« L'alimentation occidentale est un facteur de risque de survenue de la maladie »

« Le microbiote intestinal fait partie des pistes de réflexion les plus abouties »

L'augmentation du taux d'incidence des MICI suit le niveau de développement des pays. Plus un pays s'industrialise et s'occidentalise, plus le nombre de personnes atteintes d'une maladie de Crohn ou d'une RCH est élevé.

Zones géographiques où le taux de MICI est le plus élevé

Nous ne connaissons pas l'origine des MICI. D'où le fait que l'on ne puisse pas les guérir. Mais il existe aujourd'hui de nombreux groupes d'études et de recherche pour tenter de lever le mystère sur ces maladies épidémiques. Parmi les pistes les plus probables, trois se dégagent : la génétique, l'alimentation et le microbiote intestinal.

Les Professeurs Laurent Peyrin-Biroulet et Anthony Buisson nous expliquent.

Le tabac et l'appendicectomie protègent de la RCH alors qu'ils aggravent la maladie de Crohn

Elles témoignent

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Vivre avec une stomie

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