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Leslie Fonquerne, sociologue spécialiste du genre et des professions de la santé.

« Je passais pour la feignante qui s'arrêtait pour un

oui ou pour un non. »

« Si on en parle,

on a peur de perdre son travail. »

Parce qu’elles touchent l’intimité profonde, les MICI peuvent être une source d’angoisse en couple et lors de la sexualité.

Un tabou de plus qui réduit les malades au silence.

Le poop-shaming - comprendre la « honte du caca » - est un phénomène socio-psychologique qui concerne les complexes et les non-dits associés à ce grand tabou qui est la selle. Même la retranscription française efface le terme « caca » 

pour le remplacer par « syndrome de la princesse »...

Et surprise : les femmes en sont les premières touchées.

La solitude, la peur du rejet, la difficulté d’assumer une maladie aux symptômes handicapants. Trouver dix mille excuses pour expliquer quinze passages aux toilettes durant le dîner ou se retenir de passer la nuit à deux pour ne pas avoir à dévoiler sa stomie, une petite poche sur le ventre qui permet d'évacuer les selles. Puis, comme la majorité des patients reçoivent un diagnostic de maladie de Crohn ou de RCH au cours de leur vingtaine, ça complique encore plus les choses. C’est précisément la période où la majorité d’entre eux commence à construire leur vie amoureuse et sexuelle.

 

Sur le site de l’Afa Crohn RCH France, association de lutte contre les MICI, il existe un forum intitulé « Amis.Amour » sur lequel les malades lancent des bouteilles à la mer. Des femmes et des hommes cherchent à faire des rencontres à Lille, Strasbourg, Nantes ou encore Montpellier. Tous demandent conseil aux autres : doit-on parler de sa maladie au premier rendez-vous ? Si oui, comment ? Que faire si j’ai une envie pressante ? Jérémy, 19 ans, atteint d’une RCH, écrit qu’il est très angoissé à l’idée de vivre avec, « que cela ne soit qu’un tue l’amour et que je reste célibataire toute ma vie ». Tout comme Patricia qui « au début [le] disait le jour de la rencontre. Cela n’a pas marché, il y a même des hommes qui me demandaient si j’étais contagieuse », souligne la quadragénaire.

 

Mais si les rencontres amoureuses avec une MICI sont parfois tristes, elles sont aussi souvent positives. Émue, Vanessa, atteinte de la maladie de Crohn depuis 10 ans, raconte que son conjoint a toujours été là, sans jugement. « Quand j’ai découvert la maladie, j’étais déjà avec mon mari. Son regard n’a pas changé, c’est vraiment une épaule sur laquelle je peux me reposer. C’est grâce à lui que j’ai la vie facile, c’est grâce à lui que je le vis bien. » Sur son compte Instagram dédié à sa maladie, elle le remercie d’être « son plus grand soutien pendant son combat ». Mais nul besoin d’être en couple avant le diagnostic pour que l’histoire fonctionne. Sophie G’Sell a une RCH depuis 12 ans et a rencontré son conjoint il y a 6 ans. Sa MICI n’a jamais été un frein pour elle : « Je lui ai dit tout de suite en ajoutant "si tu dois partir, pars maintenant avant que je ne tombe amoureuse". Pendant une poussée, la sexualité existe mais avec une certaine appréhension et la peur d'avoir une envie pressante, ou un gaz. »

 

 

Un impact modéré

 

 

« La question de la vie sexuelle est un sujet très important à l’heure actuelle. On se rend compte que quand l'on aborde, les gens ont envie d’en parler », explique le Professeur Laurent Peyrin-Biroulet, spécialiste mondial des MICI. La santé sexuelle fait partie intégrante de la santé, du bien-être et de la qualité de vie dans son ensemble. Mais la pression sociale la fait apparaître comme une montagne infranchissable.  

Patrick Papazian, médecin sexologue à l’hôpital Bichat-Claude-Bernard de Paris, estime que l’on vit « dans une société où l’on est tous censés avoir une sexualité absolument idyllique », de quoi complexer tout le monde. Mais encore plus ceux qui sont malades et pour qui la maladie peut affecter la vie intime. Dans une étude réalisée en 2017 par la Société nationale française de gastro-entérologie, 53% des femmes atteintes d'une MICI déclarent qu’elles peuvent avoir des dysfonctionnements sexuels (diminution du désir, douleur, manque de lubrification…) contre 43% des hommes. « L’impact des MICI sur la sexualité reste modéré. C’est comparable aux personnes qui font un régime alimentaire ou qui sont en période de stress par exemple. » En conclusion, être épanoui amoureusement et sexuellement avec une MICI, c’est possible !

 

 

Une femme ça sent bon, sa peau est douce, lisse et sans poils, elle ne rote pas, ne pète pas et fait encore moins caca. Bon, ok, c'est exagéré. Mais tout de même, rares sont les femmes qui se mettent L'Équipe sous le bras avec décontraction pour aller à la grosse commission devant leur famille, leurs amis voire leurs collègues de bureau. La charge mentale s’invite jusque dans les WC. Si cela peut prêter à sourire, cette problématique est représentative d’un poids culturel et psychologique pesant sur les femmes et encore plus sur celles atteinte d'une MICI, qui ne peuvent se retenir.

 

Selon une étude réalisée par l’Ifop pour Diogène France en avril 2021, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à se sentir gênées d’aller à la selle dans leur espace de travail (60 % contre 44 %) ou chez des amis (57 % contre 44 %). François Kraus, directeur du pôle Genre, sexualité et santé sexuelle à l’Ifop, souligne « qu’une femme qui va à la selle inspire le dégoût, alors que c’est toléré culturellement pour l’homme. C’est le syndrome de la princesse qui fait pipi des paillettes ». Les filles apprennent dès leur plus jeune âge à contenir leurs fonctions corporelles naturelles : à l’école, si un garçon pète, tout le monde rit. Si une fille pète, elle est mortifiée. Et cela n’est pas sans conséquence sur leur santé ! Les femmes affichent des taux plus élevés d’irritation du côlon et de maladies inflammatoires de l’intestin (MII). Toujours selon l’enquête de l’Ifop, 41 % d’entre elles connaissent actuellement des problèmes de constipation (contre 18 % des hommes) et 38 % des troubles de la digestion (contre 22 % chez ces messieurs).  

Il n’y a aucun problème à être enceinte en ayant une MICI ! « La grossesse est totalement envisageable. En plus, généralement, lorsque l'on est enceinte et atteinte d’une maladie de Crohn, on va beaucoup mieux. La grossesse apaise la maladie. Aussi, la fertilité est la même que pour la population générale. Avant de tomber enceinte, on adapte le traitement de la malade, mais c’est tout », détaille le Pr. Peyrin-Biroulet. Les MICI ne sont pas des maladies transmissibles : quand il y en a dans la famille, il y a un peu de risque, comme le psoriasis ou le diabète par exemple, mais ça ne se transmet pas. Dans l’immense majorité des cas, les enfants ne seront pas atteints.

Mais chaque corps est différent, alors chaque grossesse est différente. Quand Vanessa et son mari ont souhaité avoir un premier enfant, la jeune femme en a d’abord discuté avec son gastro-entérologue. À ce moment-là, son traitement par perfusion l’obligeait à se rendre toutes les huit semaines à l’hôpital. Son gastro-entérologue lui a conseillé de le poursuivre pendant un an avant d'engager une grossesse afin que son état de santé se stabilise au maximum.

Un an plus tard, Vanessa est tombée enceinte. Elle a poursuivi son traitement par perfusion durant les deux premiers trimestres, puis a fini par l’arrêter pendant les trois derniers mois. C’est alors que de longs mois de souffrance ont commencé. Une poussée intense de Crohn a surgi, ce qui risquait de faire naître sa fille prématurément. Elle a alors reçu une perfusion en urgence : les douleurs se sont atténuées sans disparaître. Sa fille est née quelques semaines plus tard, en bonne santé. Cet arrêt de traitement aura causé une crise de cinq mois à Vanessa. Alors pour sa deuxième grossesse, professionnels de santé et jeunes parents, ont fait le choix de ne pas interrompre le traitement. Sans douleurs et sans poussées, ces neuf mois ont été sereins et ont permis à leur petit garçon de naître sans problème.

« Quand je vais

à l'extérieur,

le réflexe c'est

de chercher les toilettes. C'est obligatoire. »

Amour, sexe et MICI

Et la maternité ?

Le syndrome de la princesse

Si l'un des parents est atteint de RCH, environ

2 enfants sur 100 ont un risque d'être malades,

et 5 enfants sur 100 dans le cas de la

maladie de Crohn.

En parler pour briser les tabous

« Le sexisme et les stéréotypes de genre affectent durablement la santé des femmes. »

Un phénomène sociologique historique

 

 

« Les stéréotypes de genre veulent que les corps des femmes soient muets, se taisent, précise Leslie Fonquerne, sociologue spécialiste du genre et des professions de la santé. Les manifestations corporelles, bruits ou odeurs, sont ainsi plus admises chez les hommes. » Le corps féminin est le terrain de nombreux débats et tabous. Depuis toujours, il est un objet de domination masculine : pendant des siècles, les hommes étaient ceux qui décidaient de la manière dont les femmes devaient disposer de leur corps. Que ce soit en imposant des normes esthétiques comme la minceur, « l’interdiction » de vieillir, porter des vêtements ni trop courts, ni trop longs, ou en s’opposant à des méthodes médicales féminines comme l’avortement.

Ce passé de domination fait encore écho aujourd’hui et les femmes, bien qu’elles se fassent davantage entendre, sont encore sous la coupe de ces injonctions. « Il est attendu des femmes qu’elles soient dans la maîtrise de leur corps. Le sexisme et les stéréotypes de genre affectent durablement leur santé », ajoute la sociologue. Alors difficile pour une femme atteinte de la maladie de Crohn ou de la RCH d'assumer d'être obligée de rester des heures aux toilettes à cause d'une diarrhée fulgurante.

MICI et charge mentale

 

 

Au-delà de la honte d’aller à la selle, « il y a une particularité chez la femme », annonce le Pr. Peyrin-Biroulet. « Une femme atteinte d’une MICI a un handicap fonctionnel plus important, pour des raisons que l’on n’explique pas vraiment. Peut-être parce qu’elles travaillent plus que [les hommes], parce qu’elles ont plus de responsabilités. Donc la maladie a un impact plus important sur leur vie socio-professionnelle. »

 

Si le gastro-entérologue nancéien affirme que les femmes travaillent plus, c’est qu’une fois leur journée de travail terminée, elles en font plus à la maison que leurs homologues masculins. Selon une étude publiée en 2020 dans la Revue européenne de sociologie, les femmes qui travaillent 35 heures par semaine, consacrent en moyenne 160 minutes aux tâches ménagères chaque jour, week-end compris. Les hommes qui font le même nombre d’heures, y consacrent 105 minutes. Bien que l'on sache déjà tous que les femmes sont encore davantage cantonnées à faire les tâches ménagères que les hommes, il est important de rappeler que les inégalités de genre se poursuivent même dans la santé. Une femme atteinte de MICI subit non seulement les injonctions imposées par la société mais est aussi victime des tabous qui entoure sa maladie. Elle doit être une femme active, une femme au foyer, une Femme, avec tout ce que l’on attend de cette identité de genre, tout en étant malade.

 

Être Femme avec une MICI

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Vivre avec une stomie

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